L'exploitation animale est présente dans de nombreux domaines (alimentation, textile, santé) partout dans le monde. Il existe toutefois une industrie à laquelle nous ne pensons pas toujours : celle du tourisme. À la recherche d'« exotisme », de nombreux touristes voyagent sans prendre conscience de leur impact sur les autres êtres vivants. Des éléphants d'Asie aux paresseux du Brésil en passant par les ânes de Santorin ou les orques et dauphins du Marineland d'Antibes, les animaux exploités dans le cadre d'activités touristiques sont légion... et, le plus souvent, victimes de terribles souffrances.
Traverser un désert à dos de dromadaire, caresser un éléphant docile en Thaïlande, plonger avec des baleines lors d'un voyage à la Réunion... Ces activités sont celles de nombreux touristes qui paient pour un selfie avec un animal sauvage, sorte de « symbole exotique 2.0 » du pays visité.

L'« exotisme », un héritage colonial
Lorsqu'ils entrent en contact avec des animaux de manière lucrative sur leur lieu de villégiature, les touristes concernés le font a priori en toute bienveillance. Car, finalement, qu'y a-t-il de mal à monter à dos d'âne sur les îles grecques ? Les animaux sont parés de beaux accessoires, et ce n'est pas le poids d'une personne qui pourrait les déranger... Qu'y a-t-il de mal à se rendre en calèche vers les pyramides d'Égypte ? Les chevaux ont toujours tracté des calèches... Qu'y a-t-il de mal à aller nager en compagnie des baleines ?
Déjà, ce rapport aux animaux dans le tourisme s'inscrit dans une continuité historique plus large : celle d'un regard occidental, hérité de l'époque coloniale, qui considère les territoires du Sud global comme des terrains d'exotisme, de consommation et de mise en scène. Cette dynamique soulève la question de la hiérarchisation des vies : la vie humaine occidentale, mais aussi la vie animale domestiquée ou exploitée, valent plus que celles d'individus perçus comme « autres », « étrangères », ou « utiles » au divertissement.
La réalité de l'exploitation touristique des animaux
Les ânes ne sont pas censés porter plus qu'environ 20% de leur poids, c'est-à-dire le poids d'un enfant. Lorsqu'ils sont exploités par l'industrie touristique, ils se déplacent plusieurs heures par jour sous une chaleur écrasante, souvent sans accès à de l'eau ni à de l'ombre, et subissant des blessures dues à leur équipement mal adapté.

Les paresseux s'agrippent aux touristes tout simplement parce que c'est ainsi qu'ils se déplacent, leurs griffes servant à monter en haut des arbres. Ce sont des animaux paisibles et très sensibles, qui sont victimes d'un stress immense à être manipulés à longueur de journée. Tous ont été arrachés à leur milieu naturel, bien souvent à l'aide d'une technique visant à les faire tomber des arbres, peu importe le risque de les blesser ou de les tuer - enfin, penser qu'ils sourient n'est rien de plus que de l'anthropomorphisme.
Les chevaux transportant les touristes en Égypte sont le plus souvent traités comme des outils de travail. Fouettés, blessés, assoiffés ou affamés, une partie d'entre eux finissent agonisant, loin du regard des touristes, comme l'a montré l'association PETA dans l'une de ses vidéos .
Les baleines sont victimes des débordements du whale watching, cette activité qui consiste à aller observer les animaux dans leur environnement. Si l'intention de départ était louable (aller vers les animaux plutôt que les capturer pour qu'ils viennent à nous), la pratique subit les revers d'une trop forte demande... Les règles de distance ne sont plus respectées, les bateaux s'agglutinent autour des animaux, le bruit des moteurs dérange les cétacés, les touristes plongent sans précaution en essayant à tout prix de les approcher : un contexte qui favorise le stress et la désorientation des baleines, en particulier lors des périodes de reproduction et de naissances. Certains animaux, dérangés à longueur de journée, finissent par développer nervosité et agressivité, comme la baleine Moustache, au large de la Réunion.

Que dire des cétacés parqués dans des bassins à peine plus grands qu'un baignoire, tournant en rond à longueur de journée ? Des éléphants dressés à coups de fouet et blessés à l'aide de dagos, initialement conçus pour garder le contrôle de l'animal sans lui porter atteinte mais parfois détournés de leur usage ? Des tigres battus et drogués pour être suffisamment dociles devant la venue des touristes ? Que dire encore des dromadaires utilisés en Égypte, battus, assoiffés, traînés derrière des véhicules, le tout dans un silence assourdissant ? Et ce n'est là qu'une poignée d'exemples...
Quand détresse animale rime avec détresse humaine
Malheureusement, la souffrance animale va souvent de pair avec la misère humaine. Dans des pays comme l'Égypte ou la Thaïlande, pour ne citer qu'eux, l'industrie touristique représente une part importante de l'économie du pays (aux alentours de 12 à 15% du PIB). Pour de nombreux habitants, il s'agit de leur source de revenus.
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De ce fait, le confort de l'animal passe bien après celui de l'humain, quand ce dernier peine déjà à se nourrir... Loin de justifier toute forme de souffrance animale, les misères économiques et sociétales peuvent expliquer certaines formes d'exploitation : Comment se priver d'une telle source de revenus alors qu'il y difficilement d'autres moyens d'y accéder ?

Cette réalité ne peut être comprise sans interroger les inégalités structurelles qui façonnent l'industrie touristique. Si des familles doivent faire survivre leurs enfants en louant des animaux ou en acceptant des conditions de travail inhumaines, c'est aussi parce que les profits massifs du tourisme ne sont que très partiellement redistribués.
Les grandes agences de voyages, les plateformes de réservation en ligne, les croisiéristes ou les parcs d'attractions captent la majorité des bénéfices, souvent domiciliés fiscalement dans les pays du Nord. Le Sud, lui, reçoit les déchets, l'usure des corps - humains et non-humains - et les injonctions contradictoires à se développer « durablement » tout en demeurant accessible, bon marché, spectaculaire.
À ce titre, les États du Nord ont une responsabilité systémique dans la manière dont le tourisme s'organise, en ne réglementant que faiblement les activités de leurs entreprises à l'étranger, et en ne conditionnant pas leurs politiques de coopération ou d'aide au développement au respect du vivant.
Agir pour un tourisme sans animaux
Le tournant pris par l'industrie touristique à l'égard des animaux n'est pas une fatalité. Les touristes peuvent agir en évitant autant que possible les animations et excursions impliquant des animaux. Ils peuvent bannir le fait de monter sur le dos d'un animal, de les câliner ou de prendre des selfies : ces pratiques sont toujours synonymes de maltraitances invisibles. Aucun animal sauvage n'est censé être enfermé, attaché ou parqué pour le bon plaisir des touristes.
Il s'agit aussi d'être vigilante quant aux « refuges », qui peuvent jouer sur plusieurs tableaux et qui, sous couvert de protection animale, cachent parfois une pure et simple activité lucrative. De nombreuses réserves jouent sur l'émotionnel, promettant aux touristes d'approcher les animaux dans des situations « respectueuses ». Il existe des refuges et des sanctuaires qu'il est possible de visiter, et potentiellement d'aider financièrement, après avoir pris soin de regarder la façon dont le travail est fait.

Brigitte, responsable d'un petit sanctuaire pour éléphants situé le long de la rivière Kwaï en Thaïlande, rappelait il y a quelques années de cela qu'il n'existe, par exemple, aucun prétexte pour faire monter des visiteurs sur le dos d'un éléphant. Il existe de multiples moyens d'aider et de participer à l'économie d'un pays visité, comme loger chez l'habitant, acheter local, participer à des visites organisées par de petites agences touristiques... Des moyens qui ne devraient jamais inclure la souffrance d'un animal.
Il faut aussi comprendre que ces pratiques s'ancrent dans un rapport spéciste généralisé au monde animal, qui dépasse largement le cadre du tourisme. Le fait même que ces activités paraissent « banales » à de nombreux visiteurs témoigne d'une vision utilitariste des animaux, perçus comme des ressources à disposition de l'humain pour ses loisirs, sa curiosité ou son plaisir.
De la maltraitance présente aussi sur l'Hexagone
Le Marineland d'Antibes incarne parfaitement le parc d'attraction exploitant les animaux pour faire du profit. Mal entretenu, triste, le parc est un mouroir pour les animaux qui y (sur)vivent. Quand certains font les cent pas dans leur enclos faute de compagnie ou d'occupation, d'autres y trouvent simplement la mort, comme les orques Inouk et Moana, laissant derrière elles Wikie et Keijo.
En 2026, la détention de cétacés sera interdite en France, ce qui est une excellente nouvelle Se pose toutefois le problème de savoir ce qu'il va advenir de ces deux pauvres cétacés, qui tournent en rond depuis de trop longues années dans leur bassin et qui risquent de finir leur vie de la pire des manières dans un Marineland japonais...

Ce sujet soulève l'épineux problème qui se pose quand la prise de conscience se fait et qu'il s'agit de faire machine arrière. Que faire des animaux domestiqués, arrachés à leur milieu naturel depuis des années ? C'est en cela qu'au lieu de visiter des parcs, il serait bien plus moral de visiter des sanctuaires, destinés à rendre la vie des animaux captifs moins pénible, à défaut de pouvoir les libérer.
S'il n'existe pas de solution miracle ni réalisable en un éclair, il reste à tout un chacun le pouvoir de résister face à ces pratiques touristiques peu scrupuleuses. Par exemple, la tendance du selfie remise en question en 2017 par Instagram, qui s'engageait alors à filtrer les selfies incluant des animaux sauvages, ou à joindre des messages d'avertissement ou de prévention à certains hashtags tels que #koalaselfie ou #lionselfie. Une initiative certes bienvenue, mais qui a fait office de goutte d'eau dans un océan de pratiques mondialement répandues.
Les mentalités évoluent, et il est possible d'espérer qu'à l'instar des cirques sans animaux, il sera bientôt possible de ne plus les exploiter dans le cadre d'activités touristiques. D'ici là, il est toujours temps d'en parler, d'informer, de dénoncer des pratiques irrespectueuses du bien-être animal et, surtout, de ne jamais y participer.
Cela suppose de dénoncer non seulement les abus visibles, mais aussi les logiques invisibilisées d'exploitation, héritées du colonialisme, du capitalisme extractiviste et du spécisme, qui permettent encore aujourd'hui à une minorité de jouir d'un monde au prix du vivant - humain ou non-humain.
- Marie Waclaw
Photo de couverture : Monoram, flickr